gwenn

Publié le par dvb

Gwenn






Les dernières lueurs du soleil n'en finissaient pas de se disperser au dessus de l'horizon. Guillaume leva le nez vers le ciel; un halo saisissant s'était formé autour de la pleine lune. Il frémit légèrement alors qu'une brise courrait le long de la plage. Sa peau encore brûlante d'avoir passée la journée entière sous les rayons du soleil, réagissait au moindre souffle d'air. La chair de poule lui fit du bien; il oublia un instant le coup de soleil naissant.

Il soupira une nouvelle fois en consultant sa montre. Il entrevoyait la ligne de démarcation nette et douloureuse sous le bracelet. Il serait quitte pour un bronzage paysan... Et cette fille qui n'arrivait toujours pas. Il prit son paquet de cigarettes, réfrénant une grimace alors que le plat de sa main subissait le frottement contre la poche de son jean. Il ne lui en restait plus beaucoup à cette heure-ci. Tant pis ! Avec un peu d'espoir, la fille serait là avant qu'il n'ait fini sa clope.





Gwenn hurlait de tout son saoul. Un cri strident et désagréable au possible. Elle avait toujours espéré pouvoir faire fuir les mecs trop lourds ou trop bourrés avec cette arme ultra-sonore. Mais c'était sans compter sur la réaction de défense de CE gros lourd en question. Cet abrutis avait tenté de porter ses mains à ses oreilles tout en se détournant d'elle. Tout ce qu'il réussit à faire ce fut s'emmêler les pattes pour s'écrouler de tout son poids sur elle... tant et si bien qu'elle en perdit l'équilibre à son tour et dégringola du parapet longeant le bord de mer.

La mer s'était retirée depuis longtemps déjà, et avec un coef' de 105, Gwenn s'écrasa quatre mètres plus bas avec la grâce d'un sac de goémon. Elle ne perdit cependant pas tout de suite connaissance. Elle eut tout le loisir d'entendre son prétendant alcoolisé beugler un truc du genre «Oh le con ! Merde !» avant de dégueuler du haut du quai. La bière chaude et les moules frites prédigérées vinrent lui lécher les pieds. Ce n'est qu'ensuite qu'elle sombra dans l'inconscience.





Guillaume voyait la braise rougeoyante s'approcher inéluctablement du filtre. Un dernier coup d'oeil à sa montre et il se résigna dans un soupir. Il ne savait pas si les filles du coin avaient pour habitude de poser des lapins, mais les bretonnes avaient soudainement baissées dans son estime. On lui avait pourtant vanté les charmes des filles faciles du bout du monde. Encore une légende urbaine ! Il fourra sa main dans sa poche pour en sortir les clefs de la Renault. Il réprima un cri de douleur alors que le plat de sa main se délitait littéralement au contact de la poche de son jean. Quelle soirée à la con ! Plus de clope, plus de thunes et même pas de caille à ramener au camping municipal. Alors qu'il démarrait la voiture, il se demanda s'il retrouverait son chemin jusqu'au bled où il avait planté sa tente. Et dire qu'il devait encore faire vingt minutes de route pour rentrer.




Gwenn se réveilla doucement. Au loin le clapotis des vagues lui confirmèrent qu'elle était encore vivante, mais aussi qu'elle n'avait pas quitté le rocher où elle était tombée. Elle se souvint immédiatement de l'autre pokès lui pelotant les seins d'une main, et tenant sa binouse de l'autre. Quel enfoiré ! Il l'avait balancé du haut du mur, lui avait gerbé dessus et s'était barré en là laissant inerte comme un bernic à marée basse. Elle tenta de se redresser tant bien que mal. Elle ne parvint pas à situer de douleur précisément : elle avait mal partout. Elle avait l'impression d'avoir été broyée, pire qu'un crustacé à la fête du crabe. Toutes ses articulations étaient écorchées, son poignet devait être cassé ou presque, un de ses genoux ne répondait plus, et il y avait du sang poisseux sur ses boucles blondes et son front. Elle replia sa jupe longue pour ausculter ses jambes. Sa main valide empoigna un pli maculé, ou plutôt inondé, de vomis. Quel salaud... connard de touriste ! Plus loin sur le port, le fest noz continuait, entre relents de sardines grillées et chansons de Tri Yann.

Gwenn inspira profondément, s'apprêtant à crier à l'aide, mais une douleur terrifiante lui coupa le souffle. Elle se recroquevilla instinctivement, la tête bourdonnant et les yeux plein de petites tâches lumineuses. Sa mâchoire... Elle n'arrivait plus à l'ouvrir de guère plus d'un ou deux centimètres. Elle avait la mâchoire brisée. Un gargarisme pitoyable parvint tout de même du fond de sa gorge. La colère se mêla à la douleur dans ses larmes.

Elle se releva péniblement et s'adossa un instant contre le mur. La lune se reflétait sur la surface de l'océan. Elle tourna la tête à droite, puis à gauche. Le mur courrait à la même hauteur sur des centaines de mètres. Elle crut se souvenir qu'il finissait plus tôt sur la gauche. Elle regarda ses pieds meurtris : elle avait perdu une sandale, l'autre était soudée à son pied par le vomis. Dans un soupir elle se résigna à arpenter les rochers jusqu'aux dunes à la sortie de la commune.






Guillaume pesta contre les routes cahotantes du littoral. Il ne savait même pas s'il roulait dans la bonne direction. Il venait de faire cinq kilomètres sans voir d'autres panneaux de signalisation que ceux annonçant d'obscurs noms de lieux-dits : «kergleuz», «ar vern» et autres «da bep lech». Quel pays !

Il arriva enfin dans un espèce de village côtier semi-désertique. En roulant dans la bourgade il croisa quatre ou cinq bistrots encore occupés, un chapiteau illuminé sur une place centrale d'où lui parvint une odeur écoeurante de poisson. Machinalement il ferma la fenêtre de la portière, pour la rabaisser presque immédiatement, ne supportant plus la chaleur de l'habitacle.

Quelques virages plus loin, alors qu'il était sorti du bled, il se remit en plein feux. C'est alors qu'il vit émerger de la lande une forme blanche lui faisant de grands signes. C'était une fille qui agitait fébrilement les bras à son attention. De loin elle avait l'air assez bien gaulée. Il ralentit en parvenant à sa hauteur pour mieux voir.




Gwenn était parvenue à se hisser dans les dunes pour atteindre le bas côté de la route. Une bagnole arrivait bon train. C'était sa chance ! Elle roulait en direction de Porz Milhin; avec un peu de chance le conducteur pourrait la déposer jusqu'à chez elle.



La fille en blanc avait la gueule en vrac et les vêtements tachés de sang et d'autre chose. Elle avait l'air mal en point et boitait méchamment. Pourvu qu'elle ne soit pas bourrée et qu'elle ne dégueule pas dans sa caisse, se dit Guillaume. En voyant son visage tuméfié, il se résolu à lui venir en aide. Avec un peu de chance elle saurait se montrer reconnaissante et lui lâcherait son numéro de portable.
Avant qu'il n'eut le temps de baisser sa vitre pour lui demander s'il pouvait l'aider, elle était déjà assise à côté de lui. Il lui demanda si elle allait bien. Devant sa mine défaite et fatiguée il se sentit ridicule. Non ça n'allait pas évidemment. Elle lui fit signe de démarrer et de rouler. Ce qu'il fit, ne sachant pas trop comment réagir dans l'immédiat. Il s'inquiéta de son sort, l'interrogeant pour savoir ce qui lui était arrivé, mais elle restait obstinément muette. Il finit par lui demander où elle voulait qu'il la dépose, mais là encore elle ne répondit rien. Tout au plus hochait-elle la tête pour lui dire de continuer d'avancer.





Alors qu'elle s'était effondrée sur le siège de la voiture, ravie de pouvoir se reposer un instant, le gugus s'était mis en tête de faire son joli coeur, posant un tas de questions idiotes auxquelles elle n'avait pas le courage de répondre. Elle voulait dormir, juste un instant, le temps d'arriver jusqu'à chez elle. Mais l'autre n'arrêtait pas de parler, reluquant son décolleté à l'occasion. Elle ne fit plus cas de lui et finit par s'assoupir, bercée par le ronronnement apaisant de la voiture et de la musique en sourdine.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, il lui sembla les avoir fermé tout juste une minute ou deux, mais l'autre avait roulé quinze bons kilomètres. Elle reconnu la route menant au Minou et son coeur s'emballa. Ils avaient déjà dépassé sa maison et, un peu déboussolée, elle tenta de le prévenir. La douleur se refit sentir au premier mouvement de sa bouche.




Guillaume un peu dépité du silence de sa passagère, finit par lâcher l'affaire, Elle finirait bien par se manifester lorsqu'elle aurait envie de descendre. La route déserte était horriblement morne. Il jetait un coup d'oeil à la fille de temps en temps pour vérifier comment elle allait. Il croisa son regard et elle fit un geste de la main pour relever son débardeur. Dommage, elle avait une belle poitrine. Il comprit le message alors qu'elle se tortilla pour lui cacher la vue. Détournant le regard, encore plus dépité, il s'abandonna dans la contemplation des lignes de la route... des lignes... de la route... lignes... de... la...


AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH


Le cri strident et épouvantable de la fille le réveilla d'un coup. Il venait de s'endormir au volant ! La décharge d'adrénaline lui fit donner un coup de volant brutal vers le bas côté. La voiture glissa quelques mètres avant de plonger dans le talus. Un voile blanc emplit tout l'espace autour de lui. Guillaume eut l'impression d'étouffer. Il se revit enfant, un soir dans la maison de sa grand-mère. Il passait tous les étés là bas, du côté de Tregana. Il se souvint des crêpes, des tartines de beurre salé, des menhirs et de ses cousins bretons lui racontant la légende de la dame blanche.

«Elle est jeune et belle, tout de blanc vêtue. Ses vêtement et son corps portent les marques d'un accident de voiture. Elle monte et ne dit jamais rien. Et alors que le conducteur arrive au détour d'un virage mortel, elle se met à hurler, si fort que le conducteur panique. Ainsi elle sauve la vie de celui qui l'a prise. Puis elle disparaît comme un fantôme, laissant parfois un de ses vêtements tâchés de sang...»


Guillaume se débattit dans son air bag. Il reprit son souffle et s'appuya contre ce qui restait du volant. A travers le pare-brise en miette il vit un panneau lui annonçant une falaise imminente. Il tourna la tête en direction de la jeune fille. La porte était fermée, comme si elle n'avait jamais été là.
Par terre, près du siège où elle s'était tenue, il trouva une sandale blanche tâchée. Il la prit et la porta incrédule à son visage, grimaçant face à l'odeur infecte.


La dame blanche...




Un peu plus loin, derrière le lieu de l'accident, Gwenn clopinait le long de la chaussée. Le choc de l'accident semblait lui avoir remis la mâchoire en place. De rage elle était sortie de la voiture et avait claqué la porte devant le spectacle désolant de cet imbécile se noyant dans son air bag. En contournant la voiture, elle jeta un oeil à l'immatriculation.

«92... connard de touriste !!!»


Publié dans Penn ar bed storiou

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G
Excellent texte<br /> J'ai suivi le lien depuis ton commentaire<br /> et je ne regrette pas<br /> Je ne saurai faire de critiques aussi bonnes que d'autres, je préfère alors laisser parler mes émotions.<br /> J'ai trouvé ça agréable à lire, frais et la chute excellente<br /> Je vais aller de ce pas lire quelques autres textes
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D
<br /> oh oui la chute ^^<br />                            .<br />                            .<br />                            .<br />                            .<br />                            .<br />                            ........et sbam !<br /> <br /> <br />
L
pas mal du tout cette histoire (putain et moi qui croyais que tu parlais des nouvelles dans le journal ptdr) <br /> <br /> j'aime bcp le mélange entre cette histoire de la dame blanche et le mélange typiquement breton que t'as incorporé dedans (l'histoire de la gerbe après une cuite c'est tellement traditionnel chez nous et c'est tellement déplorable lol)<br /> <br /> enfin très intéressant j'ai bcp aimé
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