Samedi

Publié le par dvb

Mardi



La semaine promettait d'être caniculaire encore une fois. A la télé, la fille de la météo lui avait promis un grand soleil d'été. En arpentant les rues de son quartier dans la direction de l'église, il éprouvait déjà quelques difficultés. Il n'aurait pas dû prendre son veston; à présent il devait le porter sous son bras. Il aurait dû prendre une casquette aussi : le soleil de cette matinée était déjà haut et commençait à cogner méchamment sur ses vieux os.

Une drôle de pensée tourna un instant dans sa tête : est-ce que Jésus avait eu aussi chaud que lui lorsqu'il était resté quarante jours tout seul dans le désert ? Si c'était le cas il avait dû bien souffrir...

Le vieux monsieur gravit les quelques marches du parvis avant de pénétrer dans l'église. Il se signa et fut satisfait de trouver ici ombre et fraicheur.

Il s'assit à un banc en attendant son tour. Il venait au confessionnal en chaque début de semaine depuis... depuis au moins ... il ne savait plus lui même. Il commençait à perdre la mémoire lui aussi ! Comme tous ces vieux cons qui perdaient la boule. Quelle tristesse de vieillir. Lui encore se trouvait chanceux, il se sentait encore vert et ne soufrait pas trop, si ce n'était quelques palpitations au coeur de temps à autres. Comme c'était paradoxal. Il sourit en repensant à son week end. Parfois il se prenait encore pour le jeune homme qu'il avait été. Il se disait qu'il avait de la chance, il était plutôt du genre « vieux beau ». Plus que la plupart des autres croutons avec qui il jouait parfois aux cartes.

Un femme sortit du confessionnal. Une vieille ménagère toute ridée. Elle ramassa un panier à provisions vide et s'empressa de ressortir.

Il n'y avait personne d'autre à attendre. Le curé sortit de son box, un paquet de cigarettes à la main. Il scruta la nef et vit Jean-Pierre qui l'attendait. L'homme d'Eglise hésita un instant, puis, résigné, rangea ses américaines dans la poche de sa chemise grise de sacerdote.

« Entrez, entrez, lui intima le prêtre. Je vais vous recevoir. »

C'était un de ces jeunes curetons qui avait dû bien potasser tout le droit canon et la bulle de Vatican 2; le genre qui aimait cultiver une certaine distance avec ses ouailles. Jean-Pierre ne l'aimait pas trop et n'avait de respect que pour sa fonction.

« Je vous écoute, commença le prêtre.
_ Et bien Mon Père j'ai un peu pêché la semaine dernière. Oh ! Un tout petit peu. Rien de grave comme à chaque fois vous savez. »

Jean-Pierre attendit un instant, espérant un sourire de son confesseur. Mais rien ne vint. Il se racla la gorge avant de poursuivre.

« J'ai encore joué avec les autres vieux du quartier. Un peu d'argent. Une poignée d'euros pour intéresser la partie. Oh vous savez ça n'est pas pour être vénal...
_ Mmmhh... continuez je vous prie.
_ Ah, et aussi... j'ai à nouveau tenté d'appeler chez ma belle-fille comme vous me l'aviez conseillé un jour vous savez ? Et ... et je n'y arrive pas. J'ai cédé à la colère. Je n'arrive pas à lui pardonner, je me mets en colère à chaque...
_ Le travail à faire sur soi peut être douloureux et long, mais il nous ouvre toujours la voie vers un espoir, professa le jeune homme. C'est cet espoir qu'il faut atteindre. Le pardon viendra tout seul dès lors que vous aurez su surmonter votre propre colère. Quoi d'autre mon fils ?
_ Rien qui me vienne, une semaine s'est passée depuis la dernière fois vous savez. J'essaie de ne pas trop pêcher en aussi peu de temps ! »

Jean-Pierre essaya de rire à nouveau pour rompre cette lourde ambiance qui le rendait toujours mal à l'aise, même après toutes ces années de ferveur chrétienne.

« Vous n'avez rien d'autre à rajouter ?
_ Non mon père !
_ Et ... comment dire. A propos de ... votre amie ? »

Ainsi donc le prêtre s'intéressait un tout petit peu à la vie de ses fidèles. Jean-Pierre sourit. Il savait de quoi voulait parler le curé.

« J'ai revu mon amie oui. Elle est passée me voir dimanche. Nous étions à la messe de dix heures. Vous ne nous avez pas vu ?
_ Je ne crois pas non.
_ A mon âge... c'est étrange non ? D'avoir une amie, une amie de coeur ? Est-ce un mal Mon Père ?
_ L'amour entre les hommes ne peut jamais être un mal. Mais la concupiscence n'est pas amour... et Dieu sait reconnaître quand deux êtres savent s'aimer réellement.
_ Oh ! Mon Père ! À mon âge quelle concupiscence pourrais-je encore avoir envers quiconque. Non, non. Je ne peux plus qu'aimer comme un vieux monsieur peut le faire. En attendant de retrouver ma tendre et chère épouse là haut.
_ Bien entendu... »


Un peu plus tard Jean-Pierre remuait son café dans sa petite tasse. Petit café, petite cuillère. Il regardait sa main tourner le breuvage chaud et fumant. La fille de la météo lui garantissait un après-midi étouffant. Il porta la tasse à ses lèvres et manqua de se brûler. Il la reposa et porta son regard vers les stores vénitiens rabattus devant la fenêtre de sa cuisine. Petite cuisine, petite télé...

Jean-Pierre s'ennuyait. Le journal de treize heure se terminait et il allait devoir remplir le reste de sa journée du mieux qu'il pourrait. Il ramassa sa loupe qui trônait non loin de son quotidien et consulta la grille des programme de télé. Rien d'intéressant ! Pas avant 18 heures en tout cas. Il y avait de plus en plus de chaînes mais jamais rien d'intéressant. Tout ce qu'il aimait voir passait tard le soir, et même pas tous les jours par dessus le marché.

Il se souvint avoir vu un programme intéressant il y avait quelques semaines de celà. Un film comme on en faisait dans les années soixante ou soixante dix, il ne savait plus trop. Peut-être même l'avait-il vu au cinéma à cette époque là. Sa femme l'avait-elle accompagnée alors ? Non. Sans doute que non. Mathilde n'aimait pas aller au cinéma, ou alors pour voir les comédies. Lui n'aimait pas les comédies.

Mathilde.

Il refusa d'y penser plus longtemps. Son café avait refroidi ; il le but d'une traite, puis se leva pour ramasser sa vaisselle et l'emmener vers l'évier.

Le lundi était le jour du supplément des sports dans son quotidien. Ca lui passerait une partie de l'après-midi. De toute façon il faisait bien trop chaud dehors pour espérer sortir. Il serait mieux à l'intérieur, dans cette pénombre estivale. Peut être irait-il faire un tour un peu plus tard dans le parc. L'été il y avait de jeunes enfants et leurs maman qui jouaient. Voir la jeunesse lui faisait du bien et lui donnait du courage dans ses vieux jours.

Jean-Pierre trempa son assiette dans la mousse de son évier. Il s'ennuyait.






Mercredi



Jean-Pierre se leva de bonne heure ce jour là.

Non pas qu'il avait quelque chose à faire ce matin, mais les personnes âgées n'ont pas forcément besoin de beaucoup de sommeil. Dormir... il aurait bientôt tout le temps pour çà. Autant profiter encore un peu de son temps ici bas.

Il sortit en chausson chercher son journal dans le hall de la résidence. Il y avait quelques prospectus et réclames dans sa boîte aux lettre. Des promotions pour les pizzas. Il décida de les laisser en évidence sur la tablette près du tableau réservé au syndic de la copropriété. Il savait que les jeunes de la résidence aimaient ce genre de choses et il les leur laissait bien volontiers.

Jean-Pierre gravit doucement les deux étages menant jusqu'à son palier.

Il parvint à sa porte à l'instant où son jeune voisin embrassait sa femme avant de partir au travail. La jeune femme resserra son peignoir à la vue de Jean-Pierre. Celui-ci fit un signe de tête et sourit à son attention. La porte se referma et le jeune homme le salua sèchement avant de descendre à toute volée vers le hall.

Jean-Pierre continua à sourire à cette image une fois attablé devant son café et ses biscottes. Lui aussi avait été un jeune travailleur. Il partait tôt le matin, très tôt, et lui aussi embrassait sa femme et son fils avant d'aller à la rédaction. Jean-Pierre avait été journaliste et photographe aussi. Dans le quotidien local justement. Le journal avait bien changé depuis, mais il l'aimait toujours autant.

Le vieillard consulta la feuille de chou durant toute la matinée.

En début d'après-midi, il redescendit dans le hall, cette fois-ci pour relever son courrier. Il y avait deux nouvelles enveloppes. Un catalogue qu'il recevait de temps en temps et le relevé trimestriel de sa pension. Il regarda les quelques lignes. Toujours les mêmes chiffres. Il rangerait cette paperasse plus tard.

Pour l'heure il avait lui aussi du courrier à expédier.

Jean-Pierre prit son beau crayon dans l'un des tiroirs de son buffet en formica et s'attela à la rédaction d'un petit mot. Quelques lignes de remerciement et d'espoir qu'il plia en deux et auxquelles il joignit un billet de cinq euros. Il lécha soigneusement l'enveloppe pour la refermer, et dans un élan de gaieté l'embrassa avant de la mettre dans une poche.

Puis, il alla chercher ses souliers et les lassa patiemment. Il se pressait inutilement, le courrier n'étant relevé à la poste que vers 17 heures. Mais c'était la joie d'avoir quelque chose à faire qui le fit s'empresser.

Ce mercredi-là il faisait un peu moins chaud. Le temps était quelque peu couvert mais Jean-Pierre prit tout de même sa casquette et sa veste d'été en toile.

Il marcha doucement dans les rues du quartier déserté en plein été. Et oui, c'était comme ça. Certains abandonnaient les villes comme d'autres abandonnaient leur famille.

Jean-Pierre à soixante-dix- sept ans n'avait pas besoin de canne pour marcher, même si parfois il trainait un peu la patte. Il se croyait svelte et honnêtement il était encore assez souple pour son âge. Du moins essayait-il de s'en convaincre parfois les week-end. Il faisait un peu de marche à pieds quand il était jeune. De la randonnée même. C'est ce qu'il avait fait pendant longtemps entre le décès de sa femme et celui de son fils.

Et puis, il avait arrêté; la tristesse l'avait emporté. Ou bien était-ce parce qu'il avait un peu voyagé en Europe par la suite, pour tenter de trouver de quoi calmer son chagrin.

A quinze heure, la lettre fut postée. Il ne lui restait plus qu'à rentrer. Pour gagner un peu de temps sur l'insupportable longueur de ses journées, il fit un détour vers les rues commerçantes pour regarder les vitrines des magasins.

Il admira des ustensiles de cuisines. Il aurait bien eu besoin d'un grille pain. Le sien était rendu dans un drôle d'état. Et puis il connaissait quelqu'un qui aimait bien le pain toasté. Ca lui ferait peut être plaisir ?

Un peu plus loin Jean-Pierre passa devant une boutique de lingerie fine. Ah !! les femmes avaient un peu plus de pudeur de son temps. Elle ne s'achetaient pas des fanfreluches de dentelles qui ne cachaient rien du tout. A l'époque les filles qu'il avait connu réservaient leurs sourires et leurs oeillades pour l'amour... pas pour le commerce, comme ces gonzesses sur les affiches. Il passa son chemin. Autres temps, autres moeurs comme on disait.

Il arriva dans la grande rue où se trouvait le café qu'il aimait fréquenter. Il y avait pris ses habitudes de petit vieux. Comme quelques autres d'ailleurs. Il connaissait certains des autres clients depuis tout gamin. D'autres étaient venus s'installer en ville pour le travail. D'autres encore à l'âge de la retraite, pour se rapprocher des enfants.

Il passa devant un tabac presse. Il se dit qu'il n'avait pas fumer depuis quelques jours et se dit qu'il ne serait pas contre une petite cigarette, et puis ça lui servirait pour d'autres occasions aussi. Il prit aussi un magazine. Il aimait tout ce qui touchait aux travaux photographiques, et celui-ci proposait parfois de beaux clichés. La buraliste ne lui adressa pas un regard lorsqu'elle lui rendit sa monnaie. Il crut cependant entendre une remarque désobligeante en quittant les lieux. Sans doute une des rombières trop pressée qui faisait la queue derrière lui l'instant d'avant. Il avait bien le droit d'être vieux et de bouger à l'allure qu'il voulait. Et s'il prenait son temps pour rouler soigneusement son magazine s'était pour ne pas l'abîmer en le rangeant dans sa veste. Ces gens là n'avaient-ils aucun respect ?

Il entra dans son café quelques instants plus tard.

« tiens vlà le Pierre ! Annonça à la cantonade l'un des vieux croulants présents.
_ Salut les gars, déclama l'intéressé. »

Quelques poignées de mains plus tard, Jean-Pierre se retrouva installé à la table du fonds, près de la vitrine, un picon bière posé devant lui, et une poignée de cartes au creux des mains.

« alors ? Comment tu vas aujourd'hui ? Depuis l'autre jour ? Lui demanda un vieux tout fripé du nom de PierPaolo, un italien.
_ eh bien ça va ! Quand on a l'amour ça ne peut que aller, plaisanta Jean-Pierre. »

Tous rigolèrent. Denys faillit même s'étouffer; il dut rebrancher son respirateur portatif pour calmer sa quinte de toux. De sa voix éraillée et mécanique il dit :

« Jean-Pierre : le bourreau des coeurs ! (une pause pour reprendre son souffle et : ) il était déjà un sacré coureur de jupons étant gamin je me souviens. Toujours à vouloir voir sous les jupes des filles. »

Nouveaux rires. Jean-Pierre hocha la tête à l'évocation de sa galante réputation.

« Et je peux te dire que ça m'arrive toujours souvent !!
_ Ah ah !! vieux cochon va !!
_ Joue donc tes carreaux au lieu de raconter des bêtises, lui ordonna PierPaolo !!
_ Tu voudrais que je sois gâteux !! Mais j'ai toujours un peu de potion magique en réserve, plaisanta Jean-Pierre. Vieux jaloux. T'as pas un tel succès dans ton club des mémères.
_ Ouai mais au moins les mémères comme tu dis, elles me feront pas tourner en bourrique.
_ Les petites vieilles, elles nous veulent tous du bien depuis qu'elles sont veuves, expliqua Denys. Arrivé à un certain âge, nous les hommes, on devient une denrée rare.
_ Et certains ont la denrée encore plus rare, pouffa PierPaolo. »

La bonne humeur fut de mise pour les premières parties du jeu. Puis, comme d'habitude, la torpeur et l'ennui finirent par emporter le peu de joie qui égayait ces hommes. Au bout de quelques temps, leur attention s'estompa mais ils continuèrent à vouloir tromper leur monde, essayant de ne pas penser à l'ennui qui les rongeait tous.



Jeudi



« Il faut absolument que vous arrêtiez toute forme d'excitants : café, tabac, soda. Votre coeur s'est terriblement fatigué en seulement quelques mois.
_ oh ! Vous savez docteur, si mon coeur bat aussi fort c'est sans doute qu'il est amoureux !
_ Je ne plaisante pas ! Vous faites de la tachycardie, à votre âge çà pourrait s'avérer dangereux. Je vais vous prescrire une médication, mais d'abord vous allez faire quelques examen. Je vous mets ici une ordonnance pour une analyse du sang; il faut d'abord savoir d'où viennent vos palpitations.
_ Vous y tenez vraiment, docteur ?
_ Vous tenez à votre coeur ? Ménagez vous ! Je ne vous est jamais connu stressé pourtant. Vous avez changé votre régime alimentaire ? Vous avez recommencé à fumer ?
_ Un peu oui, un tout petit peu, pas plus que d'habitude.
_ Diminuer autant que vous pouvez. Et plus d'alcool pour l'instant. Tenez. »

Le médecin tendit l'ordonnance à Jean-Pierre. Celui-ci finit de reboutonner sa chemisette avant de ramasser le papier lacéré par d'incompréhensibles griffures. Il se leva et fit ses aurevoirs à son médecin de famille.

Si tôt dehors, il oublia tout ce que venait de lui raconter ce charlatan. Il était venu demander une pilule pour apaiser la douleur dans sa poitrine et voilà qu'on le mettait au régime sec. Et pourquoi pas une saignée tant qu'il y était ...! Si c'était pour s'entendre dire de pareilles conneries, il aurait mieux fait de s'abstenir.

Il décida donc de faire l'impasse sur le laboratoire pour l'instant. Il avait mieux à faire de sa journée. En début d'après midi la femme de ménage passerait. Il n'aimait pas la laisser seule chez lui; on n'était jamais trop prudent après tout. Elle aurait pu fourrer le nez dans ses effets personnels et oublier de faire la lessive.

Arrivé chez lui, il vérifia sa boite aux lettres. Une grosse enveloppe Kraft l'attendait. Il examina la flamme de l'affranchissement. Ca venait de Suisse. Ah ! Parfait ! Ses friandises qui venaient de loin. Il sourit à l'idée de bientôt retomber dans la gourmandise. Il défit le paquet et examina le contenu. En arrivant chez lui il posa négligemment l'enveloppe sur son chevet, puis se dirigea vers son téléphone.

Il voulait appeler. Encore. Peut être que cette fois-ci il réussirait à obtenir une réaction. C'était la période des vacances scolaires. Son petit-fils serait sans doute chez lui.

Il composa le numéro et attendit que quelqu'un décroche.

« Allô ?
_...
_ ALLO ?!?!
_ h... (Jean Pierre ne réussit pas à prononcer quoi que se fut)
_ C'est encore toi ?! Pourriture !
_ m...
_ Maman !! c'est encore la même chose !
_ j..
_ Allô ?! (une voix de femme) Qui est là ? Ca suffit ! Arrêtez ça ! Ça ne sert plus à rien de nous appeler. »

Elle avait raccroché. Jean-Pierre sentit la colère monter en lui. Pourquoi lui faisait-elle ça ? De quel droit l'empêchait-elle de voir son petit-fils ?

Il ne lui restait plus aucun autre membre vivant de sa famille. Il avait perdu sa femme et son fils à deux ans d'intervalle, il y a de cela longtemps déjà. Et sa belle-fille n'avait jamais donné de nouvelles par la suite. A chaque fois qu'il avait essayé de la contacter, il s'était heurté à ce mur d'incompréhension. Quelle mégère ! Elle ne se rendait pas compte de ce qu'il aurait pu faire pour son petit-fils. Ou peut-être que si justement : peut-être avait-elle peur qu'il lui donne plus d'amour qu'elle ne le pourrait jamais. Peut-être était-ce de la jalousie...

Jean-Pierre écrasa une larme. Il resta là, assis dans sa cuisine, son combiné sur les genoux pendant un long moment.

Plus tard on frappa à sa porte. Ca devait être Sabine, la jeune femme de ménage qui venait toutes les semaines. Il alla ouvrir mais il se retrouva face à une autre femme.Ce n'était pas Sabine mais elle portait le même gilet de l'association d'aide à domicile. Elle était « énorme » et très souriante.

« Bonjour ! Je suis Fatiha. C'est moi qui vais faire le ménage chez vous aujourd'hui.
_ Ah ?! Et où est la jeune fille qui vient d'habitude ? »

La grosse bonne femme ne prit pas la peine de lui répondre et ouvrit en grand sa porte avant de pénétrer chez lui sans y être invitée. Elle se dirigea vers la cuisine comme si elle connaissait déjà les lieux et posa son sceau rempli de détergents divers et d'éponges. Jean-Pierre trottinait derrière elle dans tout l'appartement.

« et Sabine ? S'enquit-il.
_ Sabine ne viendra plus.
_ Pourquoi ça ?
_ Changement de planning...
_ ah ... comment ça se fait ?
_ écoutez : ne restez pas dans mes pattes comme ça, je suis une grande fille et je connais très bien mon travail. Ca n'est pas la peine de me surveiller. Sabine m'a très bien expliqué vos petites habitudes. »

Quelle sans-gène ! Il n'était même plus chez lui avec cette furie. Il maugréa contre ces histoires de « planning » et s'en alla s'assoir dans sa chambre. Il fit un peu d'ordre dans les papiers et journaux qui traînaient ici et là, et les rangea dans son chevet. Au moins Sabine était gentille elle, et malgré son jeune âge elle avait beaucoup de qualités. Et puis au moins on voyait qu'elle prenait soin d'elle : toujours bien maquillée, fraîche et plein d'entrain. Et quelle souplesse pour nettoyer ses meubles et son parquet. Cette Fatiha n'offrait pas du tout le même spectacle quand il la voyait travailler comme une pataude.


Quand le ménage fut fini, Fatiha le quitta sans un mot. Jean-pierre la suivit du regard dans le jardin de la résidence à travers ses persiennes.

Il alluma la télévision de sa cuisine et regarda une course cycliste tout le reste de l'après-midi.

Quand le soir fut venu, il alla se coucher, fatigué de n'avoir aujourd'hui encore rien fait de sa journée. Il avait essayé de regarder un peu la télévision mais s'était endormi devant une série idiote et inintéressante.

Une fois au lit, il tendit le bras en direction de son chevet. Il feuilleta un magazine illustré qui trainait là, s'attardant sur quelques clichés plus ou moins intéressant. Lui aussi aimait faire des photos. Il se souvenait de Mathilde. Elle avait été longtemps son sujet de photographie préféré. Il ouvrit un tiroir dans la tablette et en sortit une vieille boite en carton. Il l'ouvrit délicatement et en sortit de vieilles photos de sa femme, rangées sans une feuille de velours pourpre. Il regarda longuement Mathilde, se souvenant de tous ces moments de bonheur passés dans leur bel appartement du Centre Ville. C'était bien avant qu'il ne soit dans ce tout petit HLM.

Mathilde...

Bientôt il la rejoindrait sans doute...

Il s'endormit sur cette funeste pensée, n'étant même pas sûr que le salut de son âme serait assuré par toutes les prières du monde.





Vendredi



Le vieillard se leva, plus rouillé que jamais. Il avait très mal dormi. Peut être était-ce l'anxiété. Il n'avait pas encore eu de nouvelles de sa tendre amie cette semaine. Il avait hâte de la retrouver. Il téléphonerait ce matin; il ne pourrait tenir une journée de plus sans lui parler.

Ainsi donc il se leva péniblement pour se diriger vers les toilettes. La première miction du matin était souvent douloureuse. Il grimaça sous l'effet de la brûlure. Encore un signe de vieillesse. Heureusement pour ce qui était du reste il avait trouvé la parade à beaucoup d'autres petits tracas.

Il se retourna ensuite vers l'armoire à pharmacie et s'empiffra de gellules en tout genre. Il garderait les bleues pour demain, inutile de trop en faire après tout, et le médecin lui avait demandé de se ménager.


Il prit son petit déjeuner, seul. Comme toujours. La fille de la météo lui annonça qu'il aurait sans doute chaud ce week end. Très chaud même.

Après avoir fini son café, il essaya de trouver dans son paquet de cigarettes le courage de téléphoner à son amoureuse. Il fumait rarement le matin. Tant pis pour son palpitant, les affaires de coeur valaient bien çà.

Le goût métallique de ses cigarettes américaines lui rappela à quel point il aimait fumer. Depuis son adolescence, il avait toujours eu à portée de main un de ces petits paquets de cartons rouges et blancs. C'était la même marque depuis toutes ces années : celle que les GI lui donnaient après la Libération.

Il prit le temps d'apprécier les petites brûlures successives au fond de sa gorge avant de décrocher son vieux téléphone. Il connaissait le numéro par coeur et fit danser ses doigts sur les touches crasseuses.

« Allô ? répondit une voix féminine.
_ Allô ! C'est toi Déborah ?
_ Non c'est Jessica. Qu'est-ce que tu lui veux ?
_ Oh... eh bien je voulais juste lui parler un peu... annonça Jean-Pierre.
_ Elle n'est pas à la maison ce matin, lui répondit-on sèchement. De toute façon, paraît que tu la vois demain.
_ Oui. C'est ce qui est prévu, expliqua le vieux monsieur.
_ Dans ce cas, attends demain !
_ Mais ... et toi ? Tu vas bien ? Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas parlé tous les deux, Jessica. Tu ne veux plus venir me voir ?
_ Non !
_ Pourquoi cela ? J'aimais beaucoup quand tu venais tu sais. On était assez poches après tout. Tu te souviens ?
_ Oui je m'en souviens très bien.
_ Tu...
_ Laisse-moi. Je raccroche maintenant.
_ Tu diras à ta soeur que j'ai appelé hein ? Allô...!? »

Jessica avait raccroché. Il espérait qu'elle ferait la commission pour sa soeur. Elle lui manquait parfois. Il croyait se souvenir qu'elle aussi aimait venir le voir parfois les week end. Et puis un jour, Jessica avait décidé de ne plus venir. Rien ni personne n'avait réussit à lui faire changer d'avis. Il ne savait pas bien pourquoi. Peut être était-elle tout simplement jalouse de sa soeur Deborah. C'est vrai que la relation que Jean-Pierre et elle entretenait était différente : ils étaient amoureux. Jessica n'avait jamais été bien plus qu'une tendre amie.

Il eut un pincement au coeur en y repensant. Mais la vie était ainsi faite, les gens changeaient, en bien ou en mal. Lui était désormais trop vieux pour se permettre de changer. Il en était venu à apprécier sa constance. Arrivé à son âge, il ne lui restait plus qu'à profiter des quelques émotions que lui offrait encore la vie. Deborah serait là demain, et tout serait merveilleux.

Son humeur s'égaya un peu et il se leva pour mettre un disque.

Un peu avant midi, alors qu'il était occupé à se préparer à manger, on frappa à sa porte.

Il râla pour la forme, se demandant qui venait l'importuner à cette heure-ci.

Il chemina vers l'entrée et ouvrit pour découvrir sa voisine du dessus tout sourire. Qu'est-ce que cette vieille morue lui voulait encore ?

« Bonjour Jean-Pierre. Tu vas bien ?
_ On fait aller. Et toi Jeanine ? Quoi de neuf ?
_ Ca va ça va. La vieillerie en somme. Je rentre de faire les commissions. Dis ! Ça te dirait de passer manger chez moi ce soir ? Ca fait un petit moment qu'on s'est pas vu. »

C'est vrai. Ca faisait au moins deux mois qu'il n'était pas monté chez elle. Jeannine n'était pas toujours de très bonne compagnie, surtout quand elle se mettait à radoter, mais au moins elle avait un grand talent de cuisinière, et ça lui faisait oublier un peu sa solitude. Parfois.

« Oui pourquoi pas. Quoi que ce soir ça ne m'arrange pas trop. Il y a un match de foot à la télé que j'avais envie de voir.
_ Alors ça tombe bien dis donc. Mon fils m'a acheté un nouveau téléviseur, tu sais les grands tout plat. Pour nos vieux yeux c'est vraiment bien une grande télé. Tu pourras regarder ton match comme ça. »

L'offre était plus que tentante. Elle savait y faire pour l'attirer dans ses filets cette vieille sorcière.

« Et bien pourquoi pas alors, conclut Jean Pierre.
_ Parfait ! Tu n'as qu'à monter vers huit heure si tu veux.
_ Huit heure. Ca me semble bien.
_ A ce soir alors Jean-Pierre.
_ A ce soir. »


Et bien, c'était un week end qui commençait sous les meilleures auspices. Il se souvenait avoir regardé un match sur un de ces téléviseurs plats il y a quelques mois, alors qu'il avait du être hospitalisé quelques jours. Il y en avait un comme cela au réfectoire de la clinique. C'est vrai que c'était quelque chose.

Il mangea devant le journal télé puis il consulta les dernières nouvelles de son équipe favorite à la page des sports, avant de se préparer pour aller faire les courses à son tour.

Le super marché n'était pas très loin de chez lui heureusement. Sous cette chaleur d'été, la route lui semblait cependant encore plus dure que d'habitude. Il fut heureux de pénétrer dans les rayons frais du magasin. Il aimait bien faire les courses. Surtout lorsqu'il savait qu'il avait de la visite le samedi. C'est vrai qu'il prenait plaisir à faire un effort pour cuisiner quand Deborah passait le voir. Il savait qu'elle aimait beaucoup les desserts, surtout les glaces. Il choisit donc un parfum qui serait à son goût. Il espérait juste qu'elle ne fondrait pas sur le chemin du retour. Il faisait si chaud dans cette ville.

Le soir venu, il monta rejoindre Jeanine et sa télé flambant neuve. Elle lui avait préparé une côtelette d'agneau avec des pommes de terre au four et des oignons. Ils prirent le café et des biscuits tous les deux confortablement installés sur le canapé.

Jeanine fit semblant de s'intéresser au match pendant la première mi-temps, lui demandant quelques éclaircissement sur les joueurs et les règles. Jean-Pierre prit sur lui pour répondre patiemment. Pendant les réclames elle se leva pour chercher une boite de chocolats, puis revint s'assoir un peu plus près de lui. Leurs genoux se touchaient presque. C'était le moment que Jean-Pierre redoutait le plus. Cette rombière lui faisait du gringue de temps en temps. Jusque là il avait toujours fait semblant de ne pas remarquer. Après tout la vieille Jeanine était elle aussi veuve depuis longtemps. Heureusement, elle s'endormit assez rapidement pendant la seconde période.




Samedi



Jean-Pierre se réveilla un peu plus tard qu'il ne l'aurait voulu. Hier soir, il avait finit par s'endormir à son tour sur le canapé de sa voisine. Lorsqu'il se réveilla, il était plus de minuit et la télé était encore allumée. Il se souvint avoir trouvé Jeanine affalée sur son bras, dans un sommeil profond.

Mais ce matin, il n'aurait pas le temps de rêvasser. Il devait à tout prix préparer l'appartement pour la venue de sa Belle. Il en mourrait de honte si on lui faisait la moindre remarque sur le rangement. Il fit le lit, rangea soigneusement son chevet et alla chercher tout ce dont ils auraient besoin pour la nuit suivante.

A dix heures comme presque tous les samedi matins depuis trois ans, la grosse berline noire vint se garer devant sa résidence. Un homme en descendit avec une petite fille. Ils montèrent les escaliers jusqu'à la porte de Jean-Pierre. Deborah embrassa son papa et entra très vite dans l'appartement du vieux monsieur par la porte entrouverte. Jean-Pierre attendait dans l'embrasure.

« Bon. Ca va Jean-Pierre ?
_ Oui oui. Et vous ?
_ Très bien merci. Dites, vous ferez attention. Je crois qu'elle fait une allergie à quelque chose ces temps-ci. Si il y a un problème n'hésitez pas à m'appeler.
_ Pas de problème, je sais où vous joindre. On va s'amuser, mais on fera attention promis !
_ Très bien. A demain midi alors.
_ A demain. »

Le père de Déborah tendit le cartable de la petite fille à Jean-Pierre et quitta les lieux.

Jean-Pierre retourna dans la cuisine et trouva l'enfant assise à la table en train de jouer avec sa peluche. C'était un genre d'ours qu'elle traînait partout avec elle depuis toute petite.

Jean-Pierre vint s'assoir près d'elle, puis la souleva pour la mettre sur ses genoux. Il passa de longues minutes à lui faire des bisous et des câlins. Au bout d'un moment la fillette le repoussa; elle commençait à étouffer sous cette avalanche de tendresse à laquelle elle semblait parfois indifférente.

A midi, ils mangèrent tous les deux. Il alluma la télé sur la chaîne des dessins animés. Deborah rit de bon coeur en voyant les pitreries d'un espèce de singe orange.

« Dis Jean-Pierre ?!
_ Oui mon canard ?! Qu'est-ce qu'il y a ?
_ Tu m'emmènes voir les ours au parc ?
_ Tu veux retourner voir les ours petite ?
_ Oh oui s'il te plait !
_D'accord pourquoi pas. Mais il fait chaud encore aujourd'hui. On ira un peu plus tard si tu veux, quand le soleil aura baissé.
_ D'accord.
_ Mais alors il faut me promettre d'être bien sage, et d'être une gentille petite fille.
_ Oui.
_ Tu m'as bien compris, hein Deborah. Si je t'emmène voir les ours il faudra être gentille en échange, hein ? »

L'enfant ne répondit pas.

Après manger il décida de lui faire prendre son bain, en attendant qu'il soit l'heure de sortir. La rafraîchir pendant cette journée de canicule lui sembla être une bonne idée.

Il lui demanda de se déshabiller toute seule et resta la regarder pour voir comment elle s'y prenait sans aide. Une fois nue, il la fit entrer dans la salle de bain, où il fit couler l'eau. Pendant ce temps il se décida à prendre un cachet. Il valait mieux : bien que son désir soit là, le corps merveilleux de l'enfant ne suffisait pas à lui faire lever la bite. Il avala la pilule miracle qu'il faisait venir sans ordonnance de Suisse. Une fois dans le bain, il passa un long moment à la regarder jouer. Il brûlait d'amour pour cette gosse, et remerciait le bon dieu pour lui avoir fait connaître une telle joie dans ses vieux jours.

Comme promis, en fin d'après-midi, ils allèrent au parc zoologique qui était à quelques stations de métro de chez Jean-Pierre. Le tarif pour les vieux et les jeunes enfants étant très raisonnable, ils y venaient souvent. Deborah adorait voir les ours. Jean-Pierre ne savait pas d'où pouvait lui venir une telle passion. Quelle drôle d'idée ! Des ours; Ces animaux lourds et stupides qui une fois qu'ils avaient copulés se battaient en couple, l'un pour manger les petits, l'autre pour les faire survivre.

Le gardien, les reconnut et leur fit signe d'approcher. Il prit Deborah par la main et la conduisit dans un petit bâtiment. Tout en lui souriant, le type lui fit signe de ne pas faire de bruit. Derrière une épaisse vitre, Deborah put découvrir, cachés de tous les autres visiteurs, deux petits oursons qui étaient nés quelques semaines plus tôt. L'enfant fut émerveillée de voir ces deux boules de poils téter leur maman. Elle resta à les admirer pendant un très long moment, sous les yeux attendris de l'employé.

« Vous avez de la chance Monsieur d'avoir une si jolie petite-fille. Ma femme et moi essayons d'avoir un enfant depuis bientôt deux ans. On peut dire que quand il naîtra il sera désiré celui-là. »

Jean-Pierre sourit aimablement sans trop savoir quoi répondre à ce type qu'il connaissait simplement de vue. Quoi qu'il en soit, il croyait que Deborah était de sa famille et ça lui allait très bien comme ça. La petite était heureuse, ça lui rapporterait sans doute un gros câlin un peu plus tard, une fois arrivé à la maison.

Deborah ne cessa de parler des ours sur le chemin du retour. Jean-Pierre avait un mal fou à la faire rester en place dans la rame de métro. Enfin ils arrivèrent chez lui.

C'était le moment qu'il attendait toutes les semaines. La « préparation ». Il asseyait Deborah dans le canapé pendant qu'il préparait à manger. Il lui arrivait de verser des stimulants ou des aphrodisiaques importés, dans ses jus de fruits, mais ce soir il préféra s'abstenir; son père lui avait bien recommandé de faire attention. De toute façon, il doutait parfois de l'efficacité de ces produits sur sa petite femme, qui semblait bien souvent insensible.

Ensuite, ils regardaient la télévision. La plupart du temps des cassettes que Jean-Pierre avait acheté chez le marchand de journaux. Voir toutes ces filles à poil lui donnait généralement la trique à cette heure là, surtout lorsque son médicament commençait à faire effet. Il caressait Deborah couchée sur ses genoux, puis commençait à la déshabiller. Mais jamais complètement. Il aimait cette cérémonie. Toujours la même mise en scène, que Deborah elle-même avait finit par reconnaître à la longue.

Le plus dur était souvent de la convaincre d'aller ensuite se coucher. Généralement elle se montrait récalcitrante et voulait continuer à regarder la télé. Du moins c'est ce qu'elle prétextait, parce qu'elle ne s'intéressait que vaguement aux films, même lorsqu'il s'agissait de choses qu'elle connaissait et pratiquait elle-même.

Jean-Pierre finit de la convaincre à force de bisous et de mots rassurants. Une fois dans la chambre il la posait sur le lit et se déshabillait devant elle. Parfois elle gloussait en le voyant, parfois elle riait de bon coeur. Parfois aussi elle faisait une petite comédie et semblait snober son bel organe pourtant levé rien que pour elle.

Ce soir comme elle semblait d'humeur à chahuter un peu avant de faire l'amour, il resta un moment à l'embrasser.

Elle tenta de faire une galipette sur l'oreiller, et finit par bousculer le matelas. Tête-bêche, lui montrant ses petites fesses, elle se redressa en lui tendant un magasine.

« C'est quoi ça ?
_ Oh ? Ça ? Tu l'as trouvé ? C'est mon magasine de photographies. Tu veux le regarder avec moi ? »

Elle remua énergiquement la tête et vint se nicher près de lui pour regarder les photos de filles.

« Tu as vu celle-là. Elle est belle non ? Ca te plairait d'avoir des seins comme les siens ?
_ Non !
_ Non ?! Pourquoi ?
_ Je sais pas !
_ Tu trouves pas ça bien d'avoir des seins comme les grandes ? Tu sais c'est joli aussi les filles quand elles sont plus grandes.
_ Oui !
_ Ah tu vois ! Et regarde le monsieur là. Lui aussi il est comme moi, avec sa bite.
_ On dirait toi pfff !!
_ Dis moi Deborah. Ca te dirait de faire comme les grandes filles ? Tu voudrais faire des photos toi aussi? Mais juste que pour moi.
_ Je sais pas.
_ Ca serait un secret. Juste toi en photo. Et il n'y aurait que moi pour les regarder. Tu es d'accord ? »

Jean-Pierre avait un appareil moderne, le genre qui n'utilisaient plus de pellicule. Il l'avait eu avec les points du super marché. Il avait eu l'occasion de s'en servir quelques fois, et il aimait l'idée qu'il ne faille plus donner ses films à développer à un laboratoire. Il suffisait de le brancher sur une borne électrique du centre commercial et le tour était joué.

Deborah repoussa brutalement la couverture pour descendre du lit. Elle courut en direction du salon pour en revenir avec sa peluche. Puis, bien sagement, elle remonta dans le lit et fit un bisous sur la joue de Jean-Pierre.

« Bonne nuit ! lui annonça-t-elle gaiement.
_ Comment ça bonne nuit ? Mais tu as oublié ? On est samedi soir, et le samedi soir les amoureux font quelque chose. Tu te souviens n'est-ce pas ?
_ Non.
_ Allons, Deborah chérie. Tu m'aimes et je t'aime et ...
_ Laisse moi tranquille s'il te plait.
_ Allons Deborah, gronda le vieillard. On était bien d'accord pourtant ? Tu avais promis d'être bien sage ce soir.
_ S'il te plait, j'ai sommeil.
_ Et bien tu dormiras bientôt dans ce cas. Je veux juste faire l'amour avec toi. Tu sais, comme font les amoureux. On a déjà fait ça pourtant!
_ Jean-Pierre ... on est pas obligé !
_ Deborah, tu es une grande fille maintenant. A six ans on est en âge de comprendre ça. Tu ne veux pas que je le dise à ton père hein, que tu as été une méchante fille?
_ Non ! Ne lui dis pas. Tu diras rien hein ?
_ Ca dépend de toi ... »

La petite fille sembla réfléchir aux conséquences de son refus puis retrouva le chemin de la raison. Le vieux la regarda enlever bien docilement sa culotte de coton rose, puis il lui fit renifler le poppers. Quelques instants plus tard il versa sur elle le produit visqueux et parfumé qu'il aimait tant. Il lui prit ensuite l'ourson des mains et le jeta au loin. Il tentait toujours de faire son possible pour ne pas trop l'écraser et la laisser respirer. A force de concentration et à l'aide de tous ses produits il finit par réussir à jouir.




Dimanche



C'est la télévision qui réveilla Jean-Pierre. La gamine s'était levée avant lui et était partie regarder ses émissions du matin. Il tenta de se redresser dans le lit. Une violente douleur dans le milieu du dos l'en empêcha. Il eut une quinte de toux, et eut l'impression de s'étouffer. Il avait oublier de refermer le pot de poppers hier soir, et du coup il s'était évaporé dans la chambre. Ca lui flanquait un mal de crâne terrible et des piques dans la poitrine. Il s'était pourtant juré de ne plus faire ce genre de bêtise. La dernière fois, il avait été bon pour une semaine à la clinique.

Il attendit une bonne demi-heure pour retrouver son souffle et sentir son coeur battre normalement.
Il se leva ensuite péniblement et se dirigea vers les toilettes. Son engin lui fait terriblement mal; la gosse était rodée depuis des années, ça ne venait pas d'elle. Il le savait, elle était facile, pas comme certains garçons inexpérimentés qu'on lui avait parfois prêté. Ca devait être les pilules qui étaient un peu trop fortes peut être. Il retint un cri de douleur lorsqu'il commença à uriner.

Deux heures plus tard, en sortant de la messe, il avait encore mal, et marchait difficilement. Il croisa le regard sévère du curé, lorsqu'il quita l'église en tenant Deborah par la main.

Puis, comme tous les dimanche, le père de Deborah revint la chercher à midi. Et Jean-Pierre eut un pincement au coeur en finissant de lasser les chaussure de sa maîtresse. Elle allait lui manquer pendant les prochains jours. Tout redeviendrait morne, jusqu'à ce qu'elle revienne... bientôt.

Le type frappa à la porte de l'appartement. Le vieillard alla lui ouvrir.

«Alors ? Ça c'est bien passé ? Elle a été sage ?
_ Oh oui ! Très sage. Comme à chaque fois »

Jean-Pierre tendit deux billets de vingt euros à l'homme, tandis que Deborah filait dans le couloir.

« A bientôt mon canard, la salua-t-il.
_ En fait, Deborah ne viendra pas la semaine prochaine.
_ Comment ça ? Pourquoi ?
_ Elle est ... « invitée » à une grande fête, avec beaucoup de personnes. C'est prévu de longue date. Vous la verrez dans quinze jours.
_ Non ! Je ne veux pas. Qui sont ces personnes ? Il ne faut pas lui faire subir ce genre de choses. Pas à elle ! Elle est bien trop délicate pour ça. Je ne suis pas d'accord.
_ Ecoutez-moi vieux pervers : vous n'avez aucun droit sur elle. Vous m'entendez ? Vous n'avez rien à dire, elle ne vous appartient pas ! Estimez-vous heureux de l'avoir aussi souvent et pour un tarif si bas. Il y a pas mal d'autres types qui paieraient bien plus cher pour avoir ne serait-ce qu'un dixième de ce que vous avez avec elle. »

Le malotrus planta Jean-Pierre sur le pas de sa porte.

Quel salaud ! Lui parler comme ça ! A lui ! Comme s'il était le dernier des je-ne-sais-quoi. Lui, qui s'occupait si bien de sa fille. Il ne comprenait rien. Personne ne comprenait ce véritable amour qui le liait à la petite Deborah. Maudit marchand, qu'il aille brûler en Enfer !

Il claqua la porte de rage, puis alla s'engouffrer dans sa cuisine, où il s'alluma machinalement une cigarette.

Son mal de coeur revint.

Cet après-midi là, il devait rejoindre la bande des vieux joueurs de cartes au café.

On l'attendit jusqu'à trois heure, puis, comme il n'arrivait toujours pas, on distribua les cartes.


Lundi


Ce fut le lendemain que le facteur le découvrit mort dans son lit. Il était venu livrer un colis, et en trouvant la porte entrouverte, il avait pénétré dans l'appartement.

La police vint. Le médecin de famille arriva, ausculta le cadavre et conclu à un arrêt cardiaque.

Il consola la vieille voisine émue; finalement il était mort « de sa belle mort ». Elle déclara qu'il allait beaucoup lui manquer, lui qui était si gentil et si charmant.

Plusieurs semaines plus tard, personne ne s'intéressant aux biens que le vieil homme avait laissé derrière lui, le notaire chargé de la succession fit venir des déménageurs pour vider l'appartement. L'un de ceux-ci trouva toute une caisse de magasines porno et de vieille photos de femmes nues. Il en garda pas mal pour lui et jeta les photos d'enfants à la poubelle. Ca ne l'intéressait pas vraiment ce genre de saloperies.

Le curé du quartier, réprima un sentiment de soulagement lorsqu'il dit la messe en mémoire de son paroissien. Bien plus tard, il se confessa à son évêque : il n'avait su que faire pour sauver cette âme perdue et il en souffrait toujours.

Le père de Deborah ne trouva plus ensuite de client régulier pour sa fille. A douze ans, on du l'emmener à l'étranger pour la faire avorter. L'opération se passa très mal : elle ne pourrait jamais avoir d'enfant une fois adulte.

Le jour de ses seize ans, Jessica alla uriner sur la tombe de Jean-Pierre. Elle tenta aussi de briser la stèle mortuaire mais n'y parvint pas complètement.

Sabine, l'ancienne femme de ménage fut soulagée : elle n'aurait plus à sentir les mains baladeuse du vieux.

Son petit-fils et sa mère ne reçurent plus de coup de téléphone anonymes. Ils touchèrent le chèque que le notaire leur avait fait parvenir. Ils n'allèrent jamais sur sa tombe.

Les parties de cartes continuèrent encore de nombreuses années dans le café, au bout de la rue.





A ton oubli, toi la crapule que je n'ai jamais connu.
A la mémoire de tes victimes.





Publié dans dark side

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K
Salut à toi cher dvb.<br /> <br /> Tout d'abord je tiens à te dire que j'ai bien aimé ce texte, on ne s'attend pas vraiment à ça, et on découvre la vérité au fur et à mesure.<br /> <br /> En revanche il y a quelques petites choses que je trouve étranges. A certain moment tu changes totalement de style de langage en passant presque dans le vulgaire ou au moins familier ( vieux cons, bite etc...).<br /> Petite erreur je crois, le premier texte se déroule normalement un mardi, pourtant il est dit que le personnage va se confesser tout les lundi. Sans doute un eerreur d'inatention.<br /> <br /> Pour le reste, il y a quelques petits mots ou expressions que je n'ais pas totalement compris. Je relirais tout ça pour les retrouver, ça vient peut être de moi et de la fatigue.<br /> <br /> En tout cas la lecture aura était agréable et c'est avec plaisir que je la recommencerait.<br /> <br /> A+, bonne continuation pour la suite.
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D
<br /> ah oui ! le coup du lundi ...<br /> <br /> J'ai corrigé différentes versions de ce texte, mais j'ai oublié la principale ^^<br /> Je vais modifier ça !<br /> <br /> LE fait d'utiliser des expressions crues à certains moments, amplifient à mon sens, l'aspect ambivalent du personnage, entre le petit vieux gentil et discret et le monstre. Et c'est aussi des mots<br /> simples et choquants qui suffisent à la réalité.<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
L
ah oui je me souviens de ce texte (enfin de ces textes devrais-je dire ^^) <br /> con j'en ai chié à le finir lol<br /> en tout cas comme je t'avais dit le soir même que j'ai lu le texte : quel vieux pervers et quel gros porc immonde !!
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